2 théories : la didactique professionnelle et la théorie de l'action conjointe en didactique (Dida-pro & TACD)



Comprendre le travail enseignant : conférence de Pierre Pastré avec le point de vue de la didactique professionnelle

Ce texte est une transcription d'une conférence enregistrée en audio avec le support Power-point à Lyon - Transcription réalisée par P. Clauzard. Pierre Pastré Lyon, 20/11/08


Comprendre le travail enseignant : le point de vue de la didactique professionnelle. Dans quelle mesure, on peut arriver à comprendre le travail enseignant en partant de l’idée que le travail des enseignants est un travail parmi d'autres et que probablement il est organisé, qu’il y a une certaine organisation de l'activité et que cette organisation, on peut l’analyser ! Le fil rouge est le concept d'organisateur : qu’est-ce qu’il faut entendre par là ? Est-ce qu'il y a un ou plusieurs organisateurs de l’activité enseignante, dans quelle mesure ça permet d’éclairer cette activité? Avec le groupe OPEN (observatoire des pratiques enseignantes), on s'est demandé : est-ce qu’on peut déterminer des organisateurs de l'activité d'un enseignant, et qu’en dire.
Suivant le PowerPoint, je vais aborder avec vous quatre points :
- un double déplacement
- la conceptualisation dans l'action et le concept d'organisateur
- la question des organisateurs de l’activité enseignante
- et quelques conséquences parmi bien d'autres qu’on pourrait observer en termes de formation des enseignantsNotre objectif est de comprendre le fonctionnement du métier de moniteur d'auto-école, au sein d'une relation duelle apprenti-conducteur et moniteur-formateur, de modéliser cette relation particulière d'apprentissage in situ, dans l'automobile, afin de développer une lisibilité de ce qu'il s'y joue. Notre cadre théorique est celui de l'ergonomie cognitive, du champ de la conceptualisation dans l'action et de la didactique professionnelle.


Le double déplacement me permet de me présenter un peu. L’entrée dans l'analyse du travail a été pour moi d'abord un déplacement personnel : après quelques années d'enseignement de la philosophie, parce que je suis agrégé de philosophie, du moins dans ma formation initiale, je me suis lancé dans la formation professionnelle continue dans l’éducation nationale où j’ai fait de l’ingénierie de formation. J’ai fait des analyses de demande de formation professionnelle, des référentiels, de la conception de formation, de la formation de formateurs, des interventions en entreprise, des évaluations de dispositif. Et une chose m’a frappé dans ce nouveau métier que j’ai appris sur le tas, c’est qu’on s’arrêtait toujours à l’analyse du travail. On s'intéressait à l'analyse de la demande de formation, mais on s’arrêtait toujours devant/à l’analyse du travail. Et c’est la raison pour laquelle, faisant une thèse avec Gérard Vergnaud, représentant de la théorie de la conceptualisation dans l’action et de la didactique des mathématiques, je suis également allé me former dans le laboratoire de Jacques Leplat qui est le représentant de l'analyse du travail aujourd'hui encore en France. Et c'est ce qui m’a donné l'idée d'introduire la notion de didactique professionnelle que je résumerais très simplement : c’est l'analyse du travail en vue de la formation. Donc, la question que je me suis posée : pourquoi on s’arrêtait en ingénierie de la formation juste avant l'analyse du travail ? Il faut ajouter que certains ont fait une analyse du travail, je pense, à tout le courant de la construction de référentiel et de la pédagogie par objectifs, dont je crois savoir qu’une retombée importante est arrivée dans les IUFM, sous forme de référentiels. Alors, je ne dirai pas tout ce que je pense des référentiels. Je voudrais dire simplement ceci, certes, quelqu’un comme Bertrand Schwartz, une figure importante de la formation professionnelle, a posé des actes symboliques importants. Quand on est allé le voir pour organiser une formation pour la reconversion des mineurs du bassin Lorrain, la première chose qu'il a faite, c’est de descendre dans la mine. C'était quand même un geste symbolique fort, mais en même temps, je dirais, la pédagogie par objectifs n'a pas fait à mon avis une véritable analyse du travail, parce que d’une part, on a confondu le travail prescrit et le travail réel. Les référentiels définissent un travail prescrit et ils s'intéressent peu au travail réel. Ils peuvent difficilement le faire d’ailleurs. Et cela a été un point essentiel de l'ergonomie de langue française qui consiste à bien démontrer la différence qu’il y a entre travail prescrit et travail réel. Et pour saisir le travail, je ne peux pas seulement regarder la prescription, il faut aller observer le travail effectif. Une deuxième raison, je crois que dans la pédagogie par objectifs on a un petit peu confondu découpages et analyses c'est-à-dire qu’on a découpé une activité en fonction de son but, etc. sans toujours s'intéresser justement à l'organisation de l’activité, car on ne peut pas comprendre l'activité si on ne va pas jusqu'à la manière dont elle est organisée. C'est un peu ce premier déplacement développement personnel qui m’a amené à dire tout le parcours qui a été le mien. Pendant 20 ans, j'ai fait de l’ingénierie de formation dans l’Éducation nationale, puis ensuite j’ai fait un peu tardivement une carrière d’enseignant - chercheur.

Il y a un autre déplacement et là je vais entrer un peu plus dans le vif du sujet. Ce n’est pas le même, mais c’est le déplacement qui me permet de comprendre comment avec une approche de didactique des disciplines, on est arrivé progressivement à s'intéresser à l'analyse de l'activité enseignante, à l’analyse du travail enseignant. Là, ça vaut la peine de partir de Guy Brousseau, parce qu’il me semble que Brousseau a produit un véritable renversement fécond, en particulier en décentrant le point de vue de l’approche didactique, en le décentrant des enseignants, des formateurs pour le centrer sur les apprenants, sur les élèves. Il me semble que la théorie des situations de Brousseau va tout à fait dans ce sens-là, c’est-à-dire, qu’en fait, on apprend par les situations. On apprend par les situations, parce que les situations, auxquelles les apprenants vont être confrontés, leur posent des problèmes et ils vont mobiliser des ressources. Ils vont être amenés à reconfigurer les ressources qu’ils possèdent et parfois même à créer des ressources nouvelles, et là , on a de l’apprentissage, de l'apprentissage qui se fait par les situations. Toutefois, il y a un point aveugle qui est l’activité de l’enseignant. Alors il ne faut pas exagérer, on sait bien que Brousseau s'est beaucoup intéressé à l'activité des enseignants. Elle est partie intégrante de son analyse. Les enseignants ont une fonction de mises en scène, c'est eux qui choisissent et qui mettent en scène les situations, les situations didactiques. Et ils ont également une fonction de médiation. Il n'empêche qu'il fallait ce renversement, je pense que c'est extrêmement important de se centrer sur les élèves et leur apprentissage. Mais du coup, on a en quelque sorte un véritable contraste, c'est-à-dire que dans la théorie le rôle de l'enseignant est quand même relativement selon Brousseau modeste, il est un peu réservé. Alors que dans la pratique, quand on observe le travail réel, on a quand même plutôt l'impression que l'enseignant est un véritable homme-orchestre, ou homme-orchestre. Il intervient à peu près dans tous les domaines. Il me semble qu’aujourd’hui, on constate un véritable rééquilibrage de ses positions de Brousseau. C'est-à-dire que, on n'a pas abandonné la centration sur les élèves, mais on va certainement l’équilibrer; alors là je fais référence à une analyse que fait Bernard Schneuwly , il paraîtrait intéressant de dire qu'on fond il faudrait prendre un petit peu ses distances avec le paradigme piagétio-bachelardien. C'est-à-dire qu'au fond, on le voit bien pour Piaget, que l’hypothèse majeure du constructivisme c'est que la conceptualisation, ça ne se transmet pas. On ne transmet pas des concepts. Les concepts, ça se construit. Et c'est un sujet qui les construit. Et je pense que Brousseau est tout à fait dans cette orientation piagétienne, il y a ajouté fort justement une bonne couche de Bachelard, à savoir, que dans l'apprentissage il y a des obstacles épistémologiques qui ne dépendent pas simplement des situations, mais qui dépendent des difficultés intérieures au sujet. Et que un des problèmes de l'apprentissage, c'est précisément d'arriver à surmonter ces obstacles épistémologiques. On a donc un paradigme qui aboutit à ignorer un peu la dimension de transmission qui continue quand même à être très forte dans les apprentissages. Et il me semble, c'est comme ça que j'explique, que l'on est entré progressivement dans une analyse de l'activité enseignante. Il me semble que des auteurs comme Dominique Bucheton, Gérard Sensevy et Alain Mercier, tout le courant de la didactique comparée, ont redonné toute sa place à l'activité enseignante. Alors évidemment, un enseignant n'est rien sans les élèves. Sensevy l’explique très bien, en prenant la référence au jeu, en disant il y a une manière de fonctionner, et une des règles de base de l'enseignement apprentissage, c'est que l'enseignant gagne quand l'élève gagne. L'enseignant gagne, fait son travail, réussit sa prestation quand l'élève a réussi véritablement un apprentissage, et il ajoute motu proprio (par lui-même). C'est pas simplement de la transmission, c'est en rapport à de la construction. Mais si, il n'y avait pas ce travail de l'enseignant, vraisemblablement, on n’irait pas très loin en termes d’apprentissage. Et puis évidemment Schneuwly a été très sensible à cette dimension de partage, entre l'enseignant et l’élève. Voilà un petit peu ce que je voulais dire sur ce déplacement. C'est un déplacement qui est en cours, c'est à mon avis ce qui permet un peu de comprendre comment on a commencé assez tardivement à s’intéresser d'une part au travail réel des enseignants et d'autre part à l'analyse de l'organisation de leur activité.

Maintenant l'organisation de l'activité qu'est-ce que l'on peut entendre par-là ? Je vais simplement vous présenter un peu le cadre théorique dans lequel j'ai fonctionné. Il faut souligner l'apport considérable de Gérard Vergnaud, qui est un psychologue. Moi j'ai fait ma thèse avec Vergnaud, lui-même a fait sa thèse avec Piaget. Et il y a une orientation, je crois. Ce que je retire du cadre théorique de Gérard Vergnaud, la conceptualisation dans l'action, c'est l'idée que l'activité humaine est organisée, qu’il y a à l'intérieur de cette activité, des éléments organisateurs dont on a essayé de voir ce qu'ils sont. Cette activité humaine est organisée en référence à une classe de situation. Et là, il y a une grosse différence entre Piaget et Vergnaud : les invariants opératoires chez Piaget sont des invariants très généraux qui sont en quelque sorte en grande partie indépendants des situations. Par contre, la différence que souligne Vergnaud, c’est qu'il réfère les organisateurs (les invariants opératoires) à des situations. Et c'est cela qu'il appelle un schème. En fait, un schème, c'est l'organisation invariante de l'activité dans une classe de situation donnée. Il ne faut pas oublier que c'est en référence à un ensemble de situations que l'activité est organisée. C'est figurer en quelque sorte des métiers. Le métier d'enseignant va avoir un type d'organisation qui probablement n'a rien à voir avec d'autres activités, d'autres métiers. Donc c'est en référence à ces situations et c'est en analysant ces situations qu’on va identifier comment les acteurs, au sein d’un métier, organisent eux-mêmes leur activité. J'insiste un petit peu là-dessus, parce que cela veut dire que dans les situations, il y a un certain nombre d'éléments essentiels qu'il est nécessaire de prendre en compte pour que l'action sur cette situation soit efficace. C'est des éléments, d'une certaine manière, objectifs. Et le concept de schème permet d'articuler cela avec la représentation de l'acteur. Justement, le propre de l'acteur, ça va être d'assimiler ces éléments, de les transformer en ce que moi j'appelle un concept organisateur, c'est le cas de le dire. Et c'est des choses qui vont guider l'action. Autrement dit, c'est une double face. Deuxième caractéristique. C'est que cette organisation de l’activité se comprend dans un premier couplage, le sujet et la situation. Et il y a un deuxième couplage, c'est le couplage entre invariance et adaptation. Pour comprendre l'activité humaine, il faut admettre qu'il y a une part en elle d’invariance et qu'il y a une part en elle d’adaptabilité aux situations. S'il n'y avait que de l’adaptabilité, on fonctionnerait comme des girouettes. Alors je me rappelle toujours de la fameuse expression d’Edgar Faure, parce qu’on l’a souvent taxé dans ses opinions politiques de girouette, il disait « c'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent ». Oui bien sûr. Mais il n'empêche que sans invariants, il faudrait qu’on réapprenne tout à tout moment. Et en même temps sans adaptabilité, on aurait un comportement complètement stéréotypé, qui se produirait totalement à l’identique. Et on peut en voir un peu une image, dans ce que l'on a appelé l'organisation taylorienne du travail. Le grand moment de l'organisation taylorienne du travail, c'est le moment où les exécutants ont cherché à se départir d’une organisation de l'activité complètement stéréotypée. Je crois que le concept de schème permet justement de comprendre comment on peut articuler invariance et adaptabilité. Alors, comment ça ? (un but de l’activité et des sous-buts, des anticipations, des règles d’actions et de prises d’information et de contrôle de l’activité, des organisateurs invariants (invariants opératoires) pour diagnostiquer, se repérer en situation, pour prendre des indices sur la part de variance de la situation, des calculs cognitifs ou inférence en situation pour s’ajuster, s’adapter…) Alors je reprends une formule de Vergnaud parce qu'elle me paraît très claire, qui dit : ce n'est pas l'activité qui est invariante, c'est son organisation. Une activité, elle est toujours adaptée. Prenez l'exemple du geste d'un sportif. Je pense que c'est un très bon exemple. Un sportif s’entraîne à faire le même geste. Le coup droit au tennis ou un amorti au foot. Il va s'entraîner, répéter, répéter et répéter. Et pourtant, chaque geste du sportif est un geste unique et qui est adapté aux circonstances. On a à la fois quelque chose qui relève d'une invariance, autrement on n'aurait pas une organisation du geste. Et en même temps, on a en permanence une adaptabilité aux circonstances et au côté un petit peu événementiels de la vie.

Je crois que c'est ce deuxième couplage entre invariance et adaptabilité, qui permet de postuler que l'activité humaine est organisée. Il est postulé aussi qu’elle est analysable, au moins jusqu'à un certain point. En repérant justement les parties invariantes, on peut essayer de voir comment elle est organisée. Elle est analysable, elle est reproductible, jusqu'à un certain point parce que probablement, on peut le voir avec l’activité des enseignants, qu'il y a une part qui est au-delà de l’invariant. Ce qui est très important avec Vergnaud, c'est que les organisateurs de l'activité sont de nature conceptuelle. Il a intitulé un de ses articles « au fond de l'action, la conceptualisation ». Ça permet de mettre le doigt sur le contresens que l'on fait généralement quand on parle de conceptualisation. Nous avons une manière de penser, elle est ancrée en nous, je l'ai trouvé à la fois dans les manuels de philosophie, quand j'enseignais la philosophie, on la retrouve dans certains manuels de psychologie. On distingue toujours la connaissance de l’action et la connaissance; on a la conceptualisation, les concepts, et de l'autre côté, l'action. Et l'action c'est autre chose. Et bien au fond, la théorie de Vergnaud, consiste un peu à brouiller ou à remettre en cause cette distinction entre la connaissance et l’action. Avec cette idée qu'il a trouvée chez Piaget. À savoir que la manière que les humains ont trouvée pour s’adapter, c'est la connaissance. La connaissance pour Piaget, c'est d'abord une adaptation. C'est la raison pour laquelle Vergnaud pense qu'il y a toujours deux aspects dans la connaissance : un aspect opératoire et un aspect prédicatif (déclaratif). Autrement dit, la connaissance ce n'est pas simplement la construction d'un savoir théorique, la connaissance est ce qui permet très souvent de guider l’action. Et au fond on l'idée que moi j'ai emprunté à Vergnaud, c’est de dire, les organisateurs de l'activité du travail sont de nature conceptuelle , ce sont comme je les appelle des concepts organisateurs. C'est la manière dont j'ai entendu, ce que j’ai cherché à assimiler de ce cadre théorique de Vergnaud dans une perspective d’analyse du travail et de didactique professionnelle. Un concept organisateur, sa principale fonction, c'est d'orienter l'activité en permettant un diagnostic de situation. En particulier dans le travail moderne, dans le travail tel qu'il se développe aujourd’hui, le diagnostic de situation est devenu l'élément essentiel de la compétence. Être compétent, je crois qu'on peut le dire en particulier dans toutes les activités complexes, ce n'est pas sortir toujours le même mode opératoire. C'est être capable d'ajuster l'organisation de son activité par rapport aux diagnostics qu'on a faits de la situation. Et cela, c'est une fonction opératoire de la connaissance. Je crois que les concepts organisateurs, ils servent à cela. Ils servent à faire un diagnostic de situation et, donc un ajustement pour la réalisation de l’activité. Alors, il m'arrivait dans un premier temps de parler de concept pragmatique, et ce n'est que dans un deuxième temps, que j'ai remplacé concept pragmatique par concept organisateur. Pourquoi ? C'est tout simple. C'est par ce que je me suis rendu compte que certains concepts organisateurs, avait une origine pragmatique et ils avaient été construit dans l'action, en particulier, avec tout ce qui s'appelle l'apprentissage sur le tas, où là, les gens construisent des concepts, ont une véritable activité de conceptualisation. Mais ils ne les définissent pas. Ils n'en font pas une théorie. Ils en font simplement un guide pour leur activité. Donc c’est cela que j‘appelais des concepts pragmatiques, mais seulement je me suis rendu compte que dans un certain nombre de cas, ce n'était pas des concepts pragmatiques qui orientaient l’action, c'était des concepts scientifiques, des concepts scientifiques pragmatisés. Jean-François Richard fait la différence entre logique de fonctionnement et logique de pilotage. La forme théorique des concepts sert à comprendre comment les situations fonctionnent, la forme opératoire des concepts consiste à comprendre comment une situation se conduit. D'un côté, vous avez une logique de fonctionnement, on comprend comment ça fonctionne, de l'autre côté vous avez une logique de pilotage ou de conduite, on essaye de savoir comment il faut conduire. L'auteur qui m'a beaucoup éclairé sur cette question-là est un russe qui s'appelle Ochanine. Il y a un exemple que je cite tout le temps, parce que c'est l'exemple princeps. Ochanine a observé des médecins spécialistes de la thyroïde, et il a comparé ce que faisaient ces médecins chevronnés et des médecins qui sortaient de l’université de médecine. Il leur a demandé de représenter des thyroïdes malades, de les mouler, de les dessiner. Et quand il observe les deux résultats, il s'aperçoit que les débutants vous dessinent le Larousse médical, l'organe tel qu'il est avec des proportions bien conservées, alors que les spécialistes dessinent un objet tout déformé, avec des parties qui sont hypertrophiées et des parties qui ont quasiment disparu. Et en analysant ses dessins déformés, Ochanine se rend compte qu'ils ont donné à voir leur démarche de diagnostic. C'est-à-dire que, ce qui pour eux à du sens, ce qui est important, il l‘ont hypertrophié et ce qui n'a pas de sens pour le diagnostic, ils l’ont pratiquement fait disparaître. C'est la différence que je fais entre un modèle cognitif et un modèle opératif. Un modèle cognitif répond à la question comment ça fonctionne. Un modèle opératif répond à la question comment on peut agir dessus, soit pour le conduire, soit pour le concevoir… ça c'est vraiment la notion de concept organisateur. Le concept organisateur fait partie de la représentation fonctionnelle qu’à l’acteur construit pour orienter et guider son action. Alors ils peuvent avoir des origines diverses, c'est pourquoi je fais maintenant la différence entre concepts pragmatiques et concepts organisateurs. C'est une question d'origine. Vous avez pour guider l’action des concepts qui ont trouvé leur origine dans l'action elle-même. Et puis vous avez des concepts qui trouvent leur origine dans un savoir scientifique et technique qui a été pragmatisé. Des chefs ingénieurs de centrales nucléaires arrivent ainsi à pragmatiser des connaissances, et on peut les suivre à la trace et s'apercevoir que c'est un vrai travail de conceptualisation. On peut dire qu'un concept organisateur il a deux faces. Il a une face objective, et là je reviens petit peu à la première distinction de Vergnaud, le couplage schème–situation; il est révélé certaines dimensions de la situation, c'est ce que j'ai appelé la structure conceptuelle la situation. Et il a une face subjective, il fait partie de la représentation, j'ai que j'appelle-moi en hommage à Ochanine le modèle opératif du sujet, c'est-à-dire la manière dont un sujet se représente la situation en vue d'agir dessus.

Voyons maintenant le paradigme de Leplat. Il a dirigé pendant longtemps un Laboratoire de psychologie du travail, à l’École pratique des hautes études. Il a commencé sa carrière de jeune chercheur à l’AFPA. Ensuite il a pris la direction du laboratoire de psychologie du travail, de l'école pratique des hautes études. C’est un monsieur de 87 ans qui continue à être actif, il a un petit bureau, il reçoit les gens en entretien. On peut dire que c'est le représentant par excellence de l'analyse du travail en psychologie et en ergonomie. On ne va pas rentrer dans les querelles entre la psychologie du travail, l’ergonomie cognitive, etc. Des chercheurs vous diront qu’il y a des différences. Simplement Leplat est le représentant principal de l'analyse du travail. L'ergonomie est arrivée en France dans les années 1950. Avec deux personnages importants : il y a Alain Wisner, qui était l'ergonomie proprement dite, et Jacques Leplat, plutôt psychologie du travail. Je suis allé dans laboratoire de Leplat et je me suis formé aux méthodes de l'analyse du travail, de psychologie ergonomique. Et le principe de base que j'appelle le paradigme dans Leplat, il est le suivant : quand on veut faire une analyse du travail, il faut commencer par faire une analyse de la tâche prescrite et il faut ensuite faire une analyse de l'activité, c'est-à-dire du travail réel/tache réalisée. On retrouve la distinction décisive qui a été vraiment l'apport de l'ergonomie francophone la différence entre le travail prescrit et le travail réel. Leplat va un peu plus loin, il indique une méthodologie en disant si vous voulez faire une analyse du travail, commencer par l’analyse de la tache. Donc, commencer par faire une analyse objective, ce que j'ai appelé la structure conceptuelle de la situation. Quels sont les éléments effectifs/ objectifs de la situation qu'il faut absolument prendre en compte pour que l'action soit efficace? Le but de l'analyse du travail, ce n'est pas l'analyse de la tâche. L'analyse de la tâche n'est que l'introduction pour faire une analyse de l’activité, c'est-à-dire du travail réel. Finalement, Leplat nous dit que l'analyse de la tache va servir de référentiel pour entrer dans l'analyse de l’activité. La première formulation est tâche prescrite, on s'est aperçu ensuite grâce à Rabardel qu'il est important de distinguer la tâche et la prescription. Ce sont des distinctions qui sont nées dans un contexte taylorien. C'est-à-dire que dans les entreprises, il y avait un bureau des méthodes qui indiquait voilà comment il faut faire, voilà comment il faut exécuter la tâche qui vous ait donné, c'est cela la tâche prescrite. Vous avez une tâche à réaliser, alors la tâche comment on la définit ? Il y a un autre Russe, Leontiev, qui la définit : c'est un but dans des conditions déterminées. La tâche est définie par un but objectif, conduire un train, conduire une machine, conduire une classe. C'est la tache dans des conditions déterminées, on est dans ce qu'on pourrait appeler la tache dans son objectivité. Et puis la tache dans son objectivité, elle est pensée par des prescripteurs, par le bureau des méthodes, des ingénieurs, des techniciens qui disent voilà comment vous allez être obligé de faire. C'est cela la prescription. Et on a été amené à faire la différence. Pour faire une analyse de l'activité, il faut donc regarder d'abord la tâche, ce que le sujet doit faire. En fait, il appelle la tâche redéfinie, c'est-à-dire ce que le sujet ou l'acteur a compris de ce qu'il doit faire (sa représentation/conception de ce qu’il doit faire). Et enfin la tâche effective, c'est-à-dire ce que le sujet fait effectivement. Et au fond, I’idée de Leplat est de dire qu’en observant les écarts, en essayant de comprendre ces écarts entre tâche prescrite, taches redéfinies et tache effective, on peut commencer à comprendre l’organisation de l’activité. Alors ça a posé plein de problèmes. C'est les questions que pose l'analyse du travail en termes d’organisateur. Quand on est dans une organisation du travail très taylorisé, cette distinction commence par l'analyse de la tâche et arrive ensuite progressivement jusqu’à l'analyse de l’activité.

Un premier pas de côté a été fait toujours dans le contexte des chercheurs lorsqu'ils se sont intéressés à des environnements dynamiques. Les environnements dynamiques, c'est le pilotage d'un avion, la conduite de centrales nucléaires, il a eu beaucoup de travail fait par Janine Rogalski sur la gestion des feux de forêt. Les pompiers. Comment on peut gérer un feu de forêt ? Et puis aussi l'agriculture. Et qu'est-ce qui caractérise une situation dynamique ? C'est qu'elle a sa dynamique propre, indépendamment de l'action des acteurs, un feu de forêt, il y a les pompiers, mais il y a d'abord la dynamique même du feu de forêt, et du coup ça change complètement l'organisation de l'activité parce qu’il ne s’agit plus tout simplement de savoir quoi faire, il faut savoir le faire au bon moment. Je dis ça parce que Janine Rogalski qui a beaucoup travaillé avec les sapeurs-pompiers. Depuis quelques années en relation avec Aline Robert, elle travaille à analyser l'activité d'un enseignant avec ce paradigme des environnements dynamiques. C'est-à-dire prenons la classe comme une entité, indépendamment de chacun des élèves, c'est une grosse difficulté de l'analyse du travail enseignant, à combiner à la fois la gestion d'un collectif et les interactions existant avec chacun des élèves. L'idée de Rogalski c'est de dire, si on prend la classe comme une entité, on s'aperçoit que c'est un environnement dynamique ouvert. Alors qu'est-ce qui caractérise l'environnement dynamique ? Très rapidement, en même temps toutes les situations sont singulières, bien sur les autres aussi. Mais dans un environnement dynamique, chaque fois, même quand on recommence, on va se retrouver devant une situation qui est quand même nouvelle, singulière. Et puis surtout, il faut le temps/le moment. Parce que pour maîtriser une situation dynamique, il faut non seulement savoir faire des bonnes actions, mais surtout savoir les faire au bon moment. Donc une question d'opportunité. Voilà ça c'est un premier pas de côté. C'est un peu le sens de mon argumentation, c'est de dire, plusieurs pas de côté nous ont obligés à reconfigurer le paradigme de Leplat. Parce qu’on voit bien qu’avec un environnement dynamique, il ne suffit pas de connaître la tâche, pour comprendre l’activité. On voit bien qu'il va falloir faire une analyse spécifique de l'activité des acteurs. C'est encore plus net avec le deuxième pas de côté, c'est la tâche d’une activité discrétionnaire, que j’ai empruntée à Claude Valot. Il est un ergonome qui a la particularité d'être un psychologue qui travaille pour l'armée de l’air. Et dont la spécialité est l'analyse de l'activité des pilotes de chasse. Vous allez me dire en quoi cela peut éclairer l'activité d'un enseignant ? Je crois que oui. Parce qu’une première chose, Valot à la suite de Maggi, un chercheur italien, nous dit: il y a des tâches tayloriennes, et il y a les taches discrétionnaires. Alors c'est quoi? Dans une tâche taylorienne, le but et le mode opératoire sont fixés par la prescription. On vous dit ce qu'il faut faire et on vous dit comment le faire. Autant qu'on peut. Dans une classe discrétionnaire, le but est fixé par le prescripteur, il faut piloter l'avion de chasse et effectuer des missions. Mais la manière, la modalité, autrement dit l'organisation de l'activité est laissée à la discrétion de chacun des acteurs parce que l'on considère qu'ils sont suffisamment compétents pour trouver la modalité. C'est une activité discrétionnaire. Il a modifié un petit peu le jeu entre analyse de la tâche et analyse de l’activité. Dans le vol d'un avion de chasse, généralement il s'entraîne pour des missions, à haute altitude, et quand ils arrivent en territoire étrangers, ils se mettent à voler à 10 m du sol. Il faut qu'ils évitent les radars, mais les épouvantails aussi. Il faut qu'ils arrivent au bon moment et qu'ils atteignent leurs objectifs et qu’ils reviennent. Toujours en rase-mottes. Alors là, au fond, il n'y a pas simplement la tâche et l'activité. Il y a quatre choses. Il y a premièrement le vol technique idéal, celui que personne ne fait. Il y a deuxièmement le vol qu'on a programmé, parce que dans ce cas-là, dans l'activité discrétionnaire il y a un grand moment de préparation. qu’on retrouve cher les enseignants, mais aussi chez les sportifs, etc. Le deuxième élément c'est le vol préparé, programmé. C'est celui que personne ne suit réellement. Il y a troisièmement le vol effectif, il y a quatrièmement et c’est cela qui m'a le plus intéressé, c'est ce qu'on appelle le vol redouté, le vol redouté, c'est celui qu'il faut surtout éviter parce qu'il permet de perdre l'objectif en route. Par exemple à force d'éviter les radars, et plein d'autres choses, on peut très bien perdre l'objectif. Alors, on a quelque chose de plus compliqué. On a quatre éléments, le vol technique idéal c'est un petit peu comme la tâche, le vol programmé c'est-à-dire qu'on a un moment de préparation, le vol effectué et puis le vol redouté. Je m'étais amusé. J'avais trouvé l'analyse de Valot très intéressante, j'ai fait un petit papier pour mes étudiants. Il s'appelait du cours magistral considéré comme un vol à haute altitude. Quand vous avez un cours magistral, vous avez le cours magistral rêvé, celui que jamais personne ne fait. Vous avez le cours qu'on a préparé que l'on suit plus ou moins bien. Vous avez le cours effectué. Et surtout le cours redouté, celui où on s’aperçoit que ce que l'on devait faire, on ne l’a pas fait. Et alors maintenant je reviens à Valot, il en tire deux choses de ce truc-là qui me paraissent très importantes. La première c’est qu'il dit dans ce cas là, dans la tâche discrétionnaire, l'organisation de l’activité, c'est une gestion par enveloppe. Alors c'est quoi l'enveloppe? C'est l’espace entre ce qu'on a préparé et ce qu'on a redouté, c'est-à-dire qu'entre l'activité préparée et l'activité redoutée, il y a toute une enveloppe. Et justement, le problème de l'organisation de l’activité, ça va être de se situer dans cette enveloppe. Mais ça veut dire une chose ça, c’est dire qu'il y a une infinité de manières de remplir la mission, de réaliser l’objectif qu'on doit faire. Et de ce point de vue là, c'est élargi beaucoup le paradigme de Leplat. Parce que ça veut dire qu'il va falloir pour faire l'analyse de l’activité, analyser les stratégies mobilisées par les gens en faisant l'hypothèse que pour une même tâche, on a à peu près un même niveau de compétence, on peut avoir des manières très différentes de faire et ça, je pense que c'est un point extrêmement intéressant. Je pense que ça vaudrait la peine, ce serait intéressant de faire une analyse de l’activité des enseignants, avec ce paradigme-là. Je pense que dans une gestion de l'activité par enveloppe, il faut réussir à combiner la précision et l’imprécision. Il y a des moments où il faut être précis quand on fait un cours, il ne faut pas que ça change tout le temps. Et il y a au contraire des moments, où il faut être imprécis. C'est-à-dire de laisser suffisamment de latitude, pour que, là, on va retrouver l'activité des enseignants, pour que précisément se mette en place une véritable co-activité. Ça m'amène à aborder, c'est la prise en compte de l’interactivité. Alors là, c'est clair, mais là aussi on a des analyses, en termes de psychologie du travail et de didactique professionnelle. Beaucoup d'activités humaines sont des co- activité, c’est-à-dire le travail d'un humain avec et sur un autre humain. Que ce soit un commerçant avec un client, que ce soit un médecin avec un malade, que ce soit un enseignant avec ses élèves, on a des co-activités. Je cite Patrick Mayen, qui est un de mes élèves et qui est maintenant un professeur qui fait beaucoup de didactique professionnelle. Il s’est beaucoup spécialisé dans cette analyse-là, et en particulier il a fait une analyse de la manière dont des réceptionnaires de garage automobiles travaillent. Il arrive à montrer de choses : d'une part, souvent ces réceptionnaires, c'était des bons techniciens, et là ils changent tout à coup de métier parce qu'ils sont en relation avec des clients. Et il ne faut pas simplement les compétences techniques à suivre et à développer, mais il faut également une compétence de communication, arriver à faire une interaction satisfaisante avec les clients. On s'est rendu compte dans ces cas là que l'objet de la co activité, il y a bien un objet commun, cet objet il a deux statuts épistémologiques si je puis dire. Pour le réceptionnaire, la voiture c'est un véhicule, un objet technique. Pour l'usager, la voiture c'est un objet d'usage. C'est sa voiture. Et il faut dire que les connaissances que l’un et l'autre ont de ce même objet ne sont pas du tout les mêmes. Et l’un des gros problèmes de l'interaction justement, ça va être de permettre un échange des différentes connaissances. Je crois que là encore on voit apparaître, on voit comment le paradigme de Leplat est encore une nouvelle fois élargi. Ce qui veut dire qu'en partant de la notion d'organisateurs, référée à une situation, quand on a des situations statiques, je pense que le paradigme de Leplat fonctionne bien, on commence par la tâche, on poursuit par l'activité. Et puis vous avez vu qu'avec les environnements dynamiques, les activités discrétionnaires, les situations de coactivité, on voit apparaître un écart de plus en plus important entre l'analyse de la tâche et l'analyse de l’activité. Ça ne veut pas dire qu'il faut supprimer l'analyse de la tâche, mais ça veut dire que désormais et cela va être le gros problème de l'analyse de l'activité enseignante, c'est qu'il faut se centrer principalement sur l'analyse de l’activité.

Là, je vais me livrer à quelque chose qui est un petit peu redoutable, en essayant de dire, bien voilà, là où j'en suis aujourd'hui qu'est-ce que je trouverais comme organisateur de l'activité enseignante ? Alors je me suis beaucoup inspiré du travail qui a été fait par le réseau OPEN. Mais il faut quand même bien dire que la synthèse que je propose n’engage que moi. C'est un objet de discussions, c'est une première esquisse. J'aurais envie de dire que ce qui caractérise l'activité enseignante, c'est qu'elle est très complexe. On retrouve un peu tout ce que j’ai dit. On a un environnement dynamique, on a une activité discrétionnaire, on a -c'est essentiel - une co activité, une interactivité. Et j'ajouterai même, on a une dimension intersubjective. Je vois trois niveaux de l'organisation de l’activité : d'une certaine manière ce sont des niveaux concentriques, c'est comme ça que je les vois. En périphérie, vous avez les gestes de métier, c'est tout le travail qu'a développé Dominique Bucheton. Je voulais mentionner c'est important : des gestes de tissage, d'étayage, d’atmosphère, de gestion d'espace et du temps. Ce n’est probablement pas des gestes qui jouent directement sur l'objet d'enseignement apprentissage. C'est des gestes qui jouent sur les conditions pour que l'enseignement apprentissage soit réellement effectif. Au deuxième niveau des organisateurs, on a quelque chose qui a à voir avec quel est l’objet. En psychologie ergonomique quand on veut faire une analyse de l'activité, on commence toujours par se poser deux questions: quel est l'objet de l'activité ? Et en quoi est-il transformé ? Ce sont des questions qui paraissent un peu banales, mais identifier exactement quel est l'objet ce n'est pas toujours simple. Quel est l'objet exact de l'activité, c'est un vrai travail d'analyse. Et comment il est transformé, c'est aussi évidemment, l'essentiel de l'analyse. Or par rapport à l'activité d'un enseignant, on peut s'interroger en se demandant, mais quel est l'objet? Alors j'ai trouvé chez les auteurs, deux réponses, une première réponse qui est massive, l'objet de l’activité, c’est le savoir. Avec une nuance, avec la différence entre savoir et connaissance. Le savoir est une dimension objective, connaissance c’est plutôt la dimension subjective. La manière dont on s'approprie où on ne s'approprie pas bien ou pas du tout le savoir. Il y a des analyses qui permettent de montrer un des objets de l'enseignement apprentissage, l'objet ce serait le savoir sous sa forme à la fois connaissance et savoir. Comment le savoir est assimilé, par un sujet et devenir connaissance. Ou comme l'a démontré Brousseau, comment des connaissances sont confrontées, accèdent à la dimension de savoir. Et puis j'ai trouvé chez Bernard Schneuwly , une critique de cet objet savoir. Lui il dit, l’objet de l'enseignement apprentissage, c'est ce qu'il appelle l’objet à enseigner, ça reste un peu vague, mais ça vaut le coup de regarder les analyses qu'il en fait. On voit bien dans chaque activité enseignante, ça porte sur un objet et cet objet il est dans un sens partagé. Il est transmis par l'enseignant, et en même temps il va être, le savoir qui doit être transmis, doit être l'objet d'une genèse instrumentale comme dit Rabardel. Quelques mots sur ce qu’il appelle une genèse instrumentale. Les outils que nous utilisons, que ce soit des outils matériels ou des outils cognitifs, un manuel, une courbe, un schéma, ce sont des outils. Ces outils, la plupart du temps, il se présente sous deux formes. Sous la forme d'un artefact, ça a été conçu par quelqu'un. Mais quand on essaie de l'utiliser, c'est un objet qui nous est étranger; et la deuxième forme, c'est grâce à l’usage que l'on va prendre par rapport à cet outil, on va faire de cet outil en quelque sorte le prolongement de son corps propre. On va le transformer en instrument. Autrement dit un outil qui a de statut : un statut d’artefact conçu par un étranger et un statut d’instrument, quelque chose que j'ai assimilé. Par exemple un ordinateur au début c'est un artefact, un truc étranger. Et puis peu à peu on va l'adopter, on va l'apprivoiser, c'est ce qu'il appelle une genèse instrumentale. Et c’est très probablement l'un des très gros problèmes de l'analyse de l’activité, et l’un des organisateurs importants de l'enseignement - apprentissage, c'est la transformation d'un savoir artefact en savoir instrument, c'est-à-dire on a assimilé un savoir qui va pouvoir servir pour résoudre certains problèmes. Je continue. Il n'y a pas simplement l'objet, à ce deuxième niveau. Il y a également les opérations qu'on va effectuer sur l’objet. Ce qui m'a beaucoup frappé, ce n'est pas mon domaine, mais il me semble que mis à part quelques disputes de chapelle, on a quand même une assez grande convergence quand on voit comment les gens analysent ce genre de choses. En particulier j’ai repris la formule de Sensevy : définir, dévoluer, réguler, institutionnaliser. C'est du Brousseau, des opérations faites par un enseignant. C'est le rééquilibrage que je vois apparaître aujourd’hui, en se centrant beaucoup plus sur l’enseignant. L'objet, c’est la tâche à définir, dévoluer le problème; réguler ce travail d'apprentissage, puis il va falloir institutionnaliser , c'est-à-dire à moment donné, donner une certaine généralité à un apprentissage ponctuel et singulier qui a été fait. Il y a un côté construire la mémoire didactique, ce n’est pas simplement ce qu'on a fait dans la classe pendant 45 minutes, mais c'est quand même une certaine continuité, et là on trouve une des préoccupations de Dominique Bucheton.

C'est une esquisse avec des éléments disparates, j’ai essayé de respecter la complexité des activités enseignantes. Je pense que c'est quand même très complexe. J'ai trouvé un concept organisateur. Il m'a semblé que le concept organisateur qui était probablement central dans l’activité d'enseignement - apprentissage, c'est le concept de secondarisation, j'ai emprunté à Goigoux et Bautier. L’enseignant fonctionne à un double niveau : il y a le niveau de la tâche, la tâche à faire. Ce n'est pas la tache économique ici. C'est la tâche scolaire. Et le critère à ce moment-là de réussite, c'est la réussite de la tâche. Mais rien ne vous dit qu'une tâche réussie, a produit de l'apprentissage, a produit la conceptualisation. Et c’est la raison pour laquelle en permanence, les enseignants vont être sur ce double registre : un registre du « est-ce que la tâche a été exécutée ? » & « comment a-t-elle été faite? » Et on peut essayer d'aller plus loin et se dire, « qu'est-ce qui a été appris véritablement, qu'est-ce qui a été conceptualisé ? » Qu'est-ce qui a été conceptualisé à l'occasion de cette tâche? Un de mes doctorants (Clauzard) travaillait sur l'apprentissage de la grammaire, à l’école élémentaire. Justement il essayait de pister, chez des enseignants qu’il avait observés, des moments qu'il appelait des moments de glissements. C’est passer d’un niveau à un autre. Le problème ce n'est pas de souligner des verbes en rouge et des sujets en vert, de tracer les flèches entre les composants de la phrase, mais de comprendre ce qu’est un verbe ou un sujet. Il a montré qu'il y avait des glissements qui était réussi, quelquefois le glissement c'est l'enseignant qui le fait. Du coup il n'y a aucun critère pour savoir s'il y a eu véritablement apprentissage. Le troisième niveau d’organisation me paraît majeur, Vinatier met l’accent dessus. À savoir que l'interactivité entre un enseignant et ses élèves, implique derrière des postures, c'est-à-dire une dimension de l’intersubjectivité, en utilisant les concepts de face et de territoire. Il n'y a pas seulement des organisateurs liés à la situation, il y a aussi des organisateurs liés à la posture du sujet. Je crois que c’est quelque chose de très important : l'interactivité ce n'est pas simplement des gens, c’est aussi des positions, des positions existentielles qui renvoient à une certaine construction de l’identité. Je ne vais pas aller plus loin, mais c'est pour moi un élargissement considérable de la notion d'organisateurs. Ce que j'ai raconté jusque-là, c'est surtout des organisateurs référés à la situation, donc à la situation, à l’objet. Quel est l'objet? Quelle est l’activité et en quoi est-il transformé, etc. On a bien une démarche, je ne l'abandonne pas bien entendu. Mais je crois qu'il y a deuxième type d’organisateur, qui a des organisateurs qui sont référés au sujet lui-même. On devrait dire qu'il y a des organisateurs plutôt objectifs, et des organisateurs plutôt subjectifs. Des invariants liés à la situation et des invariants liés au sujet. Même si c'est difficile à analyser, on ne peut pas comprendre l'organisation de l'activité d'un enseignant si on n’a pas en tête ces dimensions d’intersubjectivité. C’est un troisième niveau d'organisation qui est probablement le plus central. Et j’aurais envie de dire, mais je serais bien incapable de pouvoir le démontrer, probablement le plus crucial.

Je termine en quelques mots. Quelles conséquences pour la formation des enseignants? Je voudrais simplement en mentionner deux. La première remarque, c'est que nous avons tous été des professionnels avant d'être des formateurs. Les formateurs d'enseignants ont d'abord été des enseignants professionnels. Ça veut dire qu'ils se sont construit un modèle opératif, une organisation de l’activité à laquelle il est difficile d'échapper et qui s’est construite au fil de l’expérience. Comme formateur d’enseignants, on a en face de soi des débutants et ce que pertinent pour des personnes qui ont des années d'expérience, ce n’est pas forcément pertinent pour un débutant. C'est cela que je voulais dire. Il y a un problème dans la formation d'entrée progressive dans la complexité. Le formateur va avoir tendance à pousser le stagiaire vers le modèle opératif qu'il utilise sans s'en rendre compte. Or ce modèle opératif est hors de portée du débutant. Si l'activité d'un enseignant est tellement complexe, ça veut dire qu'un débutant ne peut pas tout assimiler en un seul moment. Et qu'il va le faire avec un certain ordre et une certaine progression. Et si on ne respecte pas cela, on peut avoir des effets contre-productifs très importants. C’est cela que je voulais dire. Je terminerai là-dessus, parmi toutes les activités d'un enseignant, les activités de mise en scène, de médiation, d'utilisation d’instruments, il en a une qui me paraît centrale: aussi bien en formation professionnelle chez les formateurs que chez les enseignants, c'est la capacité à analyser l'activité des gens qui sont en face de soi. L'analyse du travail dans un premier temps, je l'ai considéré comme un préalable pour la formation. Ensuite je me suis rendu compte que dans l'apprentissage quand les formateurs étaient capables d'analyser l'activité d'apprentissage, celle des apprenants, c'était extrêmement important. Je continue à le penser. Et puis il y a eu un troisième moment, pour moi c'est maintenant le moment décisif, c'est quand on peut permettre à des gens en apprentissage de faire l'analyse de leurs propres activités d’apprentissage. C'est ce que j'ai appelé l'analyse réflexive, rétrospective. J'ai inventé un outil, un instrument autour du concept d’intrigue, pour permettre à quelqu'un qui est en apprentissage, après-coup de reconstituer ce qui s'est passé dans des moments critiques. Il ne s'agit pas de tout analyser, mais de prendre des moments critiques; il y a une manière de faire et c'est une chose pratique qui fonctionne bien. On prend un incident critique, on le choisit judicieusement, on le découpe. Par expérience, en général, tout le monde est d'accord dans le choix du moment critique qui a été vécu. J’ajouterais qu'un moment critique c'est pas forcément un échec. C’est un moment difficile. Le découpage ne pose pas de problème. Par contre, c'est après que ça pose des problèmes. Parce qu'il faut quand même que les formateurs arrivent à catégoriser eux-mêmes. Ça c'est le boulot du formateur à mon avis non de l'apprenant. Ensuite quand on a constitué une grille, on peut demander au stagiaire d'identifier les enchaînements, et on s’aperçoit à ce moment-là qu'on fonctionne à l’envers, car on connaît la fin d'un incident critique. On sait comment ça s'est terminé. Et du coup, on va essayer de remonter, on va retrouver les enchaînements, un historien Paul Veynes a trouvé une très jolie formule , il appelle ça la rétrodiction. On ne peut pas prédire l'avenir, mais on peut rétro dire le passé. Et cet instrument qui consiste à retrouver l'intrigue consiste à retrouver l'enchaînement qui a fait qu'on en est arrivé là où on en est arrivé. Et on va remonter jusqu'à la cause qui a produit ce moment d'incidents critiques. Entre le niveau centré sur le sujet et le niveau centré sur la situation et l’objet, en termes d'organisateur de l'activité enseignante. L'analyse réflexive et rétroactive permet de combiner du méta et de l’ipsé . En constituant les enchaînements d'un événement on construit de la connaissance (le méta), c'est là que l'institutionnalisation de l'enseignant trouve toute sa pertinence. L’ipsé renvoie à l’identité selon Ricoeur. Pour lui, il y a 2 types d’identité, l’identité idem , ce que j'ai fait il reste une trace; et l’identité ipsé , c'est le fait de s'attribuer à soi-même ce qu'on a vécu. C'est-à-dire de lui donner du sens pour soi. C'est une manière avec ce petit instrument de l'intrigue d'arriver à combiner les dimensions d'organisation d’activité : la dimension centrée sur l'objet et la dimension centrée sur les postures du sujet.


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Analyse du travail : Quels obstacles ? Quelles solutions ? Quels outils ? Quels cadres théoriques ? Formalisation individuelle d'une situation de formation problématique - Restitution des travaux de groupe et discussion. Page archivant la conférence de Pierre Pastré
Le diapo-audio : Comprendre le travail enseignant : le point de vue de la didactique professionnelle - Pierre Pastré, CNAM.



Décrire et saisir le travail enseigant avec le point de vue de la TACD - théorie de l'action conjointe en didactique, selon G. Sensevy



Interview de Gérard Sensevy

Pouvez-vous exposer dans les grandes lignes la théorie de l’action conjointe en didactique ?

La théorie de l’action conjointe en didactique (TACD) est d’abord venue d’une centration sur le travail du professeur. La didactique des débuts s’intéressait beaucoup au savoir, par définition, pourrait-on dire. Puis elle en est venue à se pencher sur la compréhension de l’apprentissage des élèves. Mais, au début des années 1990, elle prenait encore peu en compte le travail du professeur. Maria-Luisa Schubauer-Leoni, avec sa thèse publiée en 1986, a ouvert la voie, il me semble, à une conception de la didactique qui prenne en compte l’action du professeur et l’action conjointe du professeur avec les élèves. Au même moment, Guy Brousseau et Yves Chevallard intégraient l’instance professorale dans leur théorisation du système didactique. Comprendre l’action du professeur devenait un objectif essentiel pour ceux qui étudiaient l’action didactique.

C’est durant cette période que vous écrivez votre thèse ?

Oui, c’est dans cet environnement intellectuel que j’ai écrit ma thèse, soutenue en 1995, et publiée en 1998, sous le titre Institutions didactiques. Étude et autonomie à l’école élémentaire. Elle décrivait la mise en œuvre dans une classe de cours moyen, suivie sur deux ans, de deux dispositifs spécifiques, intitulés « Le journal des fractions », et la « Fabrique de problèmes ». Rapidement dit, il s’agissait de rendre les élèves capables d’écrire des mathématiques de leur propre mouvement, par exemple d’expliciter pour eux-mêmes et pour le collectif de la classe les questions mathématiques qu’ils pouvaient se poser. C’est un travail que, d’une certaine manière, je continue aujourd’hui, et pas seulement pour les mathématiques. Il se trouve que j’étais le professeur de la classe dans laquelle je faisais cette recherche doctorale. J’étais donc une sorte de professeur-chercheur. Dès le début de mon travail de recherche donc, le travail du professeur a constitué pour moi un objet de recherche. Lorsque j’ai soutenu mon habilitation à diriger des recherches, Éléments pour une anthropologie de l’action didactique, en 1999, j’ai continué ce mouvement d’intégration du travail du professeur dans la théorie didactique.

Donc le projet est de prendre en compte l’action du professeur…

Oui, en avançant dans cette direction, nous avons alors pris conscience de trois éléments qui nous ont paru fondamentaux. Le premier renvoyait au fait qu’en étudiant l’action didactique du professeur, nous étudiions fatalement l’action didactique du professeur et des élèves, et donc une action conjointe. Les outils théoriques que nous utilisions, pour la plupart d’entre eux, impliquaient d’ailleurs ce type de conjonction. Finalement, nous tentions de comprendre ce qui se jouait dans la relation didactique, relation ternaire dans un système insécable, constitué du professeur, de l’élève et du savoir. Le deuxième élément tenait au système théorique lui-même. Nous prenions conscience que ces outils pouvaient nous servir à la fois pour rendre raison du spécifique, dans l’action didactique, et en particulier du spécifique des contenus, des savoirs, mais aussi pour appréhender le générique de cette action didactique. Nous en sommes très rapidement venus à une sorte d’axiome : on peut avantageusement penser toute action didactique, au sens anthropologique de ce terme, avec les notions de la TACD. Le troisième élément était le suivant: nous suivions l’idée d’Yves Chevallard selon laquelle la didactique a une ambition anthropologique, en tant que science de ce qui se passe quand quelqu’un apprend un savoir que quelqu’un d’autre lui transmet. Cette ambition anthropologique est aujourd’hui au premier plan de la TACD. On la retrouve dans le livre que j’ai publié en 2011, Le Sens du savoir, qui a constitué dans mon travail un tournant conceptuel essentiel.

Finalement, qu’est-ce qui caractérise le mieux cette théorie ?

Ce qui caractérise le mieux la TACD, c’est le travail incessant sur les concepts, les méthodes, l’épistémologie. Dans ce travail, nous cherchons à garder à la fois la substantifique moelle des concepts de la didactique, tout en les retravaillant autant qu’il le faut pour répondre aux problèmes que nous nous posons: par exemple, comment se construit, ici et maintenant, l’action didactique conjointe ? Le collectif du « Séminaire action » va publier prochainement (septembre 2018), un ouvrage intitulé Didactique pour enseigner. Cet ouvrage nous a permis un intense travail, à la fois épistémologique, théorique et méthodologique. Il a pour ambition de s’adresser au plus grand nombre. Nous espérons qu’il pourra constituer une réponse pertinente à la question des rapports de la TACD avec le terrain.

La théorie de l’action conjointe en didactique a-t-elle généré des controverses scientifiques ?

Votre question dépasse la TACD, je voudrais insister sur un point: la faible intensité du débat rationnel dans les communautés de recherche en éducation. En guise de « controverse scientifique », nous oscillons souvent entre la critique d’humeur et le pacte de non-agression. Il ne s’agit pas d’une faiblesse des personnes, mais d’une faiblesse institutionnelle. En lien avec cette question, je peux préciser que nous sommes en train d’élaborer la tenue d’un congrès, à Rennes en 2019, qui sera le premier congrès consacré à la théorie de l’action conjointe en didactique. Nous ferons en sorte qu’il fasse le point sur l’état de la théorie, avec celles et ceux qui la pratiquent, qui en pratiquent des formes voisines ou qui s’en inspirent, même de loin. (Extrait de l'article paru dans le réseau Canopé)



Voir + article du réseau Canopé



Quelles complémentarités entre la DIDA -PRO ET LA TACD ? Quels points de convergence ? Quels points de tensions ? Réflexions et applications, selon P. Clauzard



prochainement en ligne



Documentations complémentaires





- Note de synthèse sur la Didactique professionnelle de Mayen, Vergnaud et Pastré, INRP, Note de synthèse sur le DP en pdf ---- Note de synthèse sur le DP en ligne
- L’analyse du travail en didactique professionnelle, Note sur l'analyse du travail en DP en ligne ---- Note sur l'analyse du travail en DP en pdf
- « Apprendre à faire », de Pierre Pastré, Texte "Apprendre à faire" en pdf
- "Apprentissage et Activité", de Pierre Pastré, "Apprentissage et Activité"
- La didactique professionnelle : Un point de vue sur la formation et la professionnalisation, Note soulignée sur la Ddidactique professionnelle
- La didactique professionnelle : Un point de vue sur la formation et la professionnalisation, Pierre Pastré Note non soulignée sur la Ddidactique professionnelle
- Les compétences professionnelles et leur développement Les compétences professionnelles et leur développement

- La didactique professionnelle : une alternative aux approches de « cognition située » et « cognitiviste » en psychologie des acquisitions, un article de J. Rogalski en pdf
- Didactique professionnelle et enseignement, extrait du livre de Pierre Pastré sur la Didactique professionnelle, parue aux PUF. Extrait du livre de P. Pastré sur le DP en ligne
- Didactique professionnelle et activité enseignante, communication à l'iufm d'Amiens de Ph. Clauzard
- Les organisateurs de l'activité enseignante, numéro de Recherches et Formation, par collectif
- Quelques réflexions sur l'organisation de l'activité enseignante, par Pierre Pastré
- Filmer la pratique : un point de vue de la théorie de l’action conjointe en didactique, par Gérard Sensevy
- Gérard Sensevy : Le travail du professeur pour la théorie de l’action conjointe en didactique. Une activité située ? Texte sur la théorie de l'action conjointe de Sensevy
- Sensevy G. & Mercier A. (dir.). Agir ensemble : l’action didactique conjointe du professeur et des élèves Rennes : PUR, 2007. – 225 p. (Paideai) Texte de la RFP en ligne sur "Agir ensemble"
- Le jeu comme modèle de l'activité humaine et comme modèle en théorie de l'action conjointe en didactique, Note de G. Sensevy sur le jeu comme modèle de l'activité en version pdf
- L’action didactique. Eléments de théorisation par Gérard Sensevy, Texte sur l'action didactique en ligne et pdf
- Notes sur la notion de geste d’enseignement par Gérard Sensevy, Note les gestes d'enseignement de Sensevy ligne
- Théories de l’action et action du professeur par Gérard Sensevy, Texte en ligne sur les théories de l’action et action du professeur



Questions de méthodologie de recherche ou les "ficelles de la recherche"



Pour aborder les situations complexes au sein desquelles les problèmes surgissent, les chercheurs recourent à de multiples principes épistémologiques et diverses stratégies spécifiques, autour de ce que Becker appelle la ficelle (Becker, 2002). La métaphore de la ficelle aide à aborder, à travers un vocabulaire apparemment simple, de nombreuses démarches empiriques de résolution de problèmes qui se présentent au cours de l’analyse des faits. La ficelle évoque tout d’abord l’idée de « truc simple » qui aide le chercheur à résoudre les problèmes théoriques relevant de son projet spécifique. En effet, un regard sur les habitudes de travail des chercheurs, en sciences humaines et sociales, montre que beaucoup d’entre eux se révèlent cachottiers quant aux principes d’action guidant leurs tâches d’analyse. Une part importante de leur créativité échappe à l’attention même de leurs collaborateurs immédiats. Les schèmes, organisations invariantes de l’activité pour une classe donnée de situations (Vergnaud et Récopé, 2000) sont souvent implicites et demandent à être explicités. Les problèmes spécifiques suscités par les tâches d’analyse ne sont alors que partiellement exposés. Il en est de même des stratégies et conceptualisations menant à la résolution des difficultés et angoisses particulières survenant dans le parcours de recherche. Les compétences de l’analyste en matière d’énonciation des discours explicatifs adaptés aux différents contextes de production ne sont que peu exposées, expliquées ou explicitées. Des questions demeurent d’une génération à l’autre : Comment s’y prend un tel ? Comment s’y prennent-ils tous pour continuer d’agir avec compétence ? Comment se fait et se conduit une recherche ?
Source : http://www.ardeco-association.fr/colloque-les-ficelles-lanalyste/


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